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Feux, bûchers et autodafés bien de chez nous, par G Charrière

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Message  Admin Sam 9 Avr - 22:17

Extrait de la revue de l'histoire des religions.
pages 61 et 62 G. Charrière

Feux, bûchers et autodafés bien de chez nous

entre Rhin et Danube) s'avance dans la France du Nord-Est et du Centre comme le fit la grande coulée de la civilisation des champs d'urnes, bien connue, au Bronze final, par son important groupe nord-alpin. Ses peuples ont pénétré en France orientale surtout mais ont gagné la méridionale et atteint l'Espagne méditerranéenne jusqu'au droit des Baléares.

Certains auteurs pensent que ces invasions de peuples, qui sont les premiers à pratiquer systématiquement l'incinération en Europe occidentale, sont celles des premiers Celtes57 ; d'autre part, les relations avec l'IUyrie ont fait parler d'invasions « celto-illyriennes ». Et cette expansion orientale de la zone centrale des champs d'urnes est intéressante puisque nous y avons souligné les îlots où se sont maintenus des feux pascaux.

Plusieurs vagues successives ont été discernées par les spécialistes de cette civilisation crématoire. W. Kimming y distingue quatre phases principales qu'il désigne par Champs d'Urnes I, II, III, IV. La première phase se place à la période de transition du Bronze moyen au Bronze final, les deux suivantes à l'Age du Bronze final (Hallstatt A et В de P. Reinecke) et la dernière au Premier Age du Fer (Hallstatt I des auteurs français, Hallstatt С de P. Reinecke).

L'expansion de la zone des champs d'urnes suivant à peu près la vallée de la Seine jusqu'à la Manche et mordant sur l'Angleterre orientale, il n'y a pas désaccord avec les cartes du folkloriste en ce qui concerne les feux de Mardi-Gras avec de rares îlots près de la Manche et un excentré dans l'Orne, le seul discordant quoique guère éloigné de la démarcation orographique susdite.

Par contre, la zone des feux de Carême est loin d'être aussi méridionale que celle des champs d'urnes descendant jusqu'en Catalogne. Et dans le midi de la France le mobilier des sites archéologiques montre que les Champs d'Urnes ont atteint ces régions dès la période ancienne et succèdent aux vases de la Polada du Bronze moyen.

En Italie du Nord la civilisation des Terramares s'épanche très au sud. Les sépultures sont aussi des incinérations en urnes et la zone de leur extension dans la Péninsule se relie directement par les vallées de la Save et du Danube aux aires hongroises, tchécoslovaques et autrichiennes. Aussi la crémation carnavalesque du Vilain et de la Vilaine ou de la Vecchia, au Frioul, dans les Grisons, en Lombardie, Vénétie et même Campanie, coïncide-t-elle assez étroitement, sur le plan géographique, avec cette expansion méridionale des Champs d'Urnes.

A vrai dire, lorsque l'on compare les zones d'extension, et des feux de Carnaval-Carême, et des civilisations de l'Age du Bronze ou du Premier Age du Fer, la première, sur le plan géographique, semble correspondre à une aire importante mais restreinte, qui serait intermédiaire entre la plus réduite de la civilisation des Tumulus et la plus extensive de la zone des champs d'urnes.

On sait d'ailleurs qu'à la fin du Bronze moyen, lors de la transition vers le Bronze final, des groupes mixtes apparaissent intermédiaires entre ces deux civilisations consécutives des tumulus et des champs d'urnes du Bronze final. L'absence de feux de Carnaval-Carême dans le Midi français et la Catalogne, avec la brusque transition entre le Bronze moyen ou ses vases de la Polada et le Bronze final, en ces régions, plaiderait aussi pour rattacher la zone desdits feux à ces périodes intermédiaires ou à la toute première extension des champs d'urnes en France.

Et pourtant il est une tradition carnavalesque française, « dans le Midi provençal, languedocien et catalan », donc couvrant le reliquat d'aire géographique correspondant à l'extension maximum de la civilisation des champs d'urnes et en même temps exempte de feux à cette date quoique mitoyenne à la zone qui en possède, tradition carnavalesque qui consiste en files et rondes processionnelles de protagonistes affublés de bonnets et camisoles, s'aidant ou pas de soufflets, porteurs de bougie allumée, destinée à le rester ou à être éteinte, selon les joutes, voir à enflammer le postérieur du partenaire qui précède. Cette danse du Feu aux fesses, des Camisards, des Souffîaculs ou des Bouffés, très développée dans les régions méridionales, a néanmoins quelques exemples ponctuels dans la zone des feux et est signalée ici ou là en Ardennes, dans le Jura, dans la Nièvre, dans le Velay.

A Joyeuse, dans l'Ardèche, cette procession des porteurs de soufflet était jadis associée à celle des célibataires dits « esterles » (stériles) et des « cornards » victimes d'infortunes conjugales. On songe à la promenade similaire des Cornards de Sauxillanges (Puy-de-Dôme) où le soir du Mercredi des Cendres, pour accompagner le mannequin de Carnaval au lieu où on le brûlera debout, les. jeunes gens qui ont organisé le matin ladite procession en réitèrent une coiffés de bonnets de coton, chacun soulevant d'une main le pan de chemise de son devancier, la file étant accompagnée dé porteurs de torches laissant supposer qu'autrefois1 les acteurs portaient une chandelle allumée comme en d'autres lieux.

L'Hérault offre de son côté plusieurs exemples d'une procession conduite par un chef assis sur un âne qu'on souffle avec un soufflet. Les litanies sont du type : E bufa iè aqui, è bufa le aqui, Bufo ié au cuou — Amb'aquel ase lorsqu'elles ne concernent que l'âne, et en ce qui concerne son cavalier du genre : Buffo ié aou cuou, qu'es un cougnou, Buffa ié al cuo, la pauvre biello, Bufo ié au cuou — Qu'es cougnou.

Le leitmotiv est clair. Il s'agit bien de mascarade punitive infligée aux maris trompés, aux célibataires endurcis considérés comme asociaux, aux individus coupables de stérilité, bref à tout ce qui est considéré comme contraire aux règles naturelles ou sociales. Vieille notion primitive de société insuffisamment civilisée, donc antérieure aux ères historiques d'Europe occidentale.

Après Westermarck, sur ce mépris pour les célibataires dans les civilisations anciennes, Van Gennep, pour la France, donne de bons exemples : « A Escombres (Ardennes), toute fille qui, lors du saudage, n'avait pas été enchérie (mise à prix et adjugée au jeune homme le plus offrant et dernier enchérisseur), était mariée au mannequin du Mardi-Gras et devenait veuve après son incinération le Mercredi des Cendres...

« A Molintrat (Auvergne), le Dimanche des Brandons on promène sur un âne le plus vieux garçon de la commune, puis on le brûle en effigie.

« En Beaujolais (région non délimitée), les ménages allaient le jour des Bordes faire visite aux vieux garçons et allumaient un feu devant leur porte... »

Par ailleurs il faut noter, dans le bestiaire chrétien, que l'âne fait partie, comme le chat ou les reptiles, de la ménagerie du diable face au cheval que Dieu a fait.

Cette promenade d'un homme bafoué, sur un équidé qui ne l'est pas moins, est à rapprocher des pénalités judiciaires propres à ce cycle de Carnaval, devant la Justice des Fous, où maris trompés et femmes infidèles, dans la région parisienne (Oise, Seine) étaient brûlés sous forme de mannequins sans autre manifestation, mais où dans le Midi (Carcassonne, Puy-de-Dôme) la promenade honteuse sur un âne parfois chevauché à rebours était de rigueur en des jours aux noms caractéristiques : Jour des coquards, cornards ou cocus pour le Jeudi-Gras, Dimanche des Cornes au Dimanche Gras, Fêle des Hommes à Mardi-Gras, ou Fête des Cornards le Mercredi des Cendres63.

Partout transparaît la vieille sanction du feu. A Bagneux, dans le Val-de-Marne, les cocus étaient promenés sur un fauteuil qu'on déposait sur le bûcher de Mardi-Gras ; le moment venu, on remplaçait le cocu par un mannequin de paille. A Fontenay-aux-Roses c'était au contraire le mannequin représentant la femme qui s'était mal conduite qu'on promenait et brûlait.

Mais c'est dans l'Hérault que s'organisait surtout, jusqu'au Mercredi des Cendres, des cours coculaires^ pour juger les Cournilhards (vieux mariés) et les Cournilhous (jeunes mariés) accusés d'être trompés ou battus par leur femme. Chaque Cour, après qu'eussent été soufflées les chandelles, se contentait de frapper l'auditoire à coups de rouleaux en papier. Extinction des bougies qu'il faut peut-être rapprocher de ce refrain de Béranger au sujet des soufïlaculs de Bléneau (Yonne) :

Vile soufflons, soufflons, morbleu — Eteignons les lumières — Et rallumons le feu.

Toute l'histoire et la culture d'un pays se manifestent au travers de la couleur locale de nos soufïlaculs et cours coculaires méridionales. Se surajoutant aux coutumes judiciaires celtiques, le droit et la juridiction romaine de la Gaule Narbonnaise ont modifié, dans un sens moins barbare et plus policé, des sanctions prises en bonne et due forme par des cours qui parodient celles dont l'administration de robe créera les prototypes, après la conquête.

Par ce chemin de traverse cette zone méridionale des soufflaculs se rattache donc bien, quant à son fonds, à celle des bûchers judiciaires de Carnaval-Carême et coïncide davantage avec l'extension similaire, sur le plan géographique, de la civilisation des champs d'urnes.

Le problème de sa limite sud traité, voyons la septentrionale. Van Gennep signale les Osterfeuer jusque dans la péninsule du Jutland. Cette région ne semble jamais avoir été franchement celtique ou incluse directement dans l'aire d'expansion des champs d'urnes.
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